LA GUERRE DE  39 - 45


Au début, pendant la période dite de la drôle de guerre, furent hébergés à Grâce quelques réfugiés venus, je crois, des régions frontalières et d'autres aussi, au moment de l'exode, qui poussa, vers l'ouest des populations entières tentant, mais en vain, d'échapper à l'étreinte ennemie.

En juin 1940, les troupes allemandes victorieuses, dédaignant Grâce, passèrent sur la route du Tourlanquin.

L'Etat-Major, craignant un débarquement allié sur les côtes bretonnes, décida de créer des dépôts d'armes et de munitions dans la forêt de Lorges. Les travaux furent en partie exécutés par des hommes qui logeaient à Grâce, avec beaucoup de sans­gêne, dans des maisons de préférence inhabitées.

La trop célèbre Gestapo, police allemande, installée à Uzel,  interrogeait et torturait, non seulement les Résistants, mais ceux qui les aidaient. De nombreux patriotes furent exécutés dans une clairière de la forêt, appelée, depuis, Champ des Martyrs.

Par chance la Gestapo n'eut pas le temps de passer au peigne fin la commune de Grâce qui fut ainsi épargnée. Mentionnons que Me Le Verger, notaire à Loudéac, natif de Grâce, fut arrêté et déporté dans un camp de concentration en Allemagne, d'où il ne revint pas.

Grâce accueillit aussi les réfugiés de l'île de Groix qui, en reconnaissance, offrirent au recteur un petit voilier construit par eux. Et ce n'était pas banal de voir, dans une paroisse terrienne, un joli bateau blanc porté aux processions par des marins. 

La pénurie de denrées dans les villes fit fleurir le marché noir dans les campagnes. A la gare d'Uzel, montant à contre-voie pour éviter les gendarmes qui les pourchassaient, des individus bien bâtis, ployaient tous les dimanches sous la charge de deux pesantes valises pleines de viande destinée aux parisiens affamés. Les gens des fermes avaient l'avantage de pouvoir utiliser comme monnaie d'échange, oeufs, beurre, lard pour obtenir des produits rares : sucre, café, tissu, pneu de bicyclette.

En 1944, au cours de la retraite précipitée des armées allemandes à travers la Bretagne, plusieurs convois traversèrent Grâce, à toute vitesse par peur des embuscades. Pourtant certains s'y arrêtèrent. A ce propos, Alfred Moisan, ancien maire, racontait deux histoires :

- Une nuit, entendant des camions stopper en plein bourg, il descend en hâte ouvrir sa porte. Au lieu des libérateurs attendus, les Américains, il se trouve nez à nez avec des Allemands énervés, inquiets, cherchant leur route, beaucoup de poteaux indicateurs ayant été barbouillés ou arrachés. Comprenant alors qu'ils veulent l'emmener, comme guide, jusqu'à QUIMPERLE, il s'éclipse, ayant juste le temps de se barricader chez lui à la barbe de l'Allemand qui le poursuit, lequel après avoir tiré une rafale de pistolet-mitrailleur à travers la porte, lance une grenade qui la fracasse. Se sauvant par le derrière de la maison et courant à perdre haleine, il s'arrêta enfin à la Ville-aux-Romains se rendant compte qu'il n'était pas poursuivi. Pendant ce temps, sa femme et ses enfants, réveillés par tout ce vacarme et, craignant le pire, n'avaient pas bougé de leurs chambres au premier étage. La colonne allemande, pressée par le temps, n'insista pas davantage.

- Une autre nuit, l'instituteur Le Moal qui logeait à la mairie est réveillé par le chef d'un convoi qui veut, par le détail, connaître lui aussi la route de Quimperlé, sans doute ville du rassemblement général. L'instituteur lui fait comprendre, qu'ayant oublié ses lunettes dans la pièce voisine, il voit mal la carte déployée devant ses yeux. Suivi par l'officier qui lui tient le canon de son revolver appuyé sur la nuque, il croit sa dernière heure arrivée, se souvenant soudain en ouvrant la porte que, dans cette pièce, se trouve, depuis la veille étalé par lui sur la table, bien en vue, un magnifique drapeau américain... que sa femme heureusement avait camouflé le matin même.