LES METIERS ET LES BOUTIQUES



LES LAVANDIERES

 

A Grâce, pays de tisserands, les draps, rangés avec soin, dont la maîtresse de maison était si fière, remplissaient les

armoires, rendant inuti1e  les " buées" (lessives) trop rapprochées.

A part le linge de corps lavé plus souvent, les "linceux" (les draps) et autres grandes pièces n'étaient lavés que deux fois par an et toujours en été. Ces grandes lessives duraient 2 ou 3 jours,  nécessitant le concours de plusieurs lavandières. La buée se faisait ainsi : le linge après avoir été essangé, était, dans une grande cuve de bois, entassé sous une toile grossière retenant des cendres éparpillées, sur laquelle on versait des casserolées d'eau chaude tirée d'une grosse marmite accrochée à la crémaillère. L'eau passait lentement pour sortir par un robinet placé au bas de la cuve. Les lavandières après avoir, l'une en face de l'autre, essoré par torsion tout le linge, pièce par pièce, l'emmenaient dans leurs brouettes grinçantes pour le rincer soit dans l'eau courante d'un ruisseau au dessus duquel volaient les "demoiselles" (libellules) ou le plus souvent dans un "doué" (lavoir) formé par une source au milieu d'un pré où s'ébattaient les papillons et les "biquettes" (sauterelles vertes) .

A genoux dans des "cases" (sorte de boites ouvertes garnies de paille au fond) placées au bord des dalles d'ardoises entourant le doué, elles lavaient et tapaient ferme à grands coups de battoir. Sans cesser de travailler, elles bavardaient beaucoup, et c'est l'une d'elles qui racontaient cette histoire en authentique témoin :

 

"Près d'un doué, la lavandière suit des yeux, les sauts successifs d'une grenouille. Intriguée, elle l'aperçoit se dirigeant, comme ensorcelée, vers une couleuvre qui après un dernier bond la happe dans sa gueule ouverte. Notre lavandière, armée

de son battoir, s'approchant de la couleuvre, gonflée en boule par sa proie, l'assomme et la coupe en deux et voit alors la

grenouille en sortir vivante.

Un renard, affirmait la même lavandière, est capable d'hypnotiser une poule sur son perchoir au point de la faire choir, proie vivante, à portée de sa gueule".

 

A midi ou en fin de journée, le linge, après avoir été ramené du doué puis passé au bleu dans des bassines de cuivre, séchait sur l'herbe. La distance a parcourir n'était jamais très longue, sauf par les années de grande sécheresse où il fallait trouver des sources non taries. On allait alors le linge ballottant dans la charrette jusqu'aux Prés Poulain, à la limite de la commune, à plus d'une demie lieue du bourg.

 

 

LES COUTURIERES

 

Elles allaient en journée, bénéficiant des du soir, pour tailler et coudre, à la demande, chemises, corsages, tabliers, allongeant s'il le fallait, les hardes des enfants qui grandissent trop vite. Malgré un salaire très modique, elles réussissaient à faire quelques économies, puisque l' une qui a pu s'offrir, apothéose de sa vie, le pèlerinage de Lourdes.

 

 

 LES REPASSEUSES

 

Elles venaient à domicile. Toutefois on portait les capots à repasser chez la spécialiste de ce travail délicat.

 

 

LES COUVREURS

 L'un d'eux, le fameux "Pé blanc' qui, sans échafaudage étant allé chercher le coq sur le haut du clocher, l'avait, une fois redoré, montré aux gens du bourg tous sortis de chez eux, puis, le retournant pour en présenter le ventre troué, avait tranquillement fait la quête. Il entrepris, tout seul, pour remonter le coq, l'escalade du clocher, s'aidant de deux petits baquets qu'il accrochait alternativement aux pitons à mesure qu'il grimpait. Avant d'enfiler sur la pointe, le coq, tout enrubanné pour l'occasion, il eut la hardiesse de faire là-haut, le "chêne fourchu" autrement dit l'arbre droit.

 

 

LE SABOTIER

 

Travaillant, souvent dehors sur un petit établi spécial, il exécutait entièrement à la main, des sabots sur mesure, ornés de petits dessins, et noircis si vous le lui demandiez. Bourrés de paille, les sabots, utilisés pour tous les genres de travaux et même pour se rendre au bourg, gardaient les pieds au sec et bien au chaud.

 

 

LE MENUISIER

 

Si le menuisier, dont les clients attendaient longtemps la livraison des meubles commandés, était peintre aussi, il avait peu l'occasion d'exercer son talent, les gens d'autrefois, trouvant trop chère la peinture, préféraient laisser pourrir une porte, quitte à la remplacer plus souvent par une neuve.

 

 

LE FORGERON

 

Visage noirci, il tapait le fer sur l'enclume résonnante, commençant très tôt sa journée. D'une main, il tirait la poignée commandant une soufflerie moderne composée de deux cylindres en tôle, placés côte à côte, de l'autre il attisait les charbons avec un bout de fer. Son père, lui, avait conservé l'ancien système un soufflet double en bois et cuir suspendu à une poutre pareil aux petits soufflets utilisés dans l'âtre, mais énorme. Le forgeron rebattait les fers des socs de charrue mais réparait tout aussi bien une casserole trouée. Il ne passait une journée sans ferrer un cheval. La besogne ne manquant pas, Grâce comptait, non pas un, mais deux forgerons.

 

 

LE PERRUQUIER

 

Celui de Grâce du nom de Guilmot, tisserand à ses heures,  rasait et coupait les cheveux, non suivant le désir du client, mais à sa mode à lui qui ne variait guère.

 

 

LE CORDONNIER

 

Ayant peu de chaussures à ressemeler,l'usage des sabots étant général,il se rabattait sur les travaux de sellerie.

 

 

LE CUREUR DE PUITS

 

Il retirait, avec la vase accumulée au fond, parfois un vieux seau que l' iragne n'avait pu remonter, des cafetières, des bouts de ferraille rouillée, des objets de toute sorte, jetés par des enfants attirés par le mystère du trou noir.

 

 

LE SOURCIER

 

A l'aide d'une baguette de coudrier ou de sa montre pendue par la chaîne, il trouvait les sources en indiquant même leur profondeur. Personne n'aurait songé à creuser un puits sans le consulter. Les plus doués, disait-on, repéraient un trésor caché dans la muraille.

 

 

LE RAMONEUR

 

Beaucoup de gens ramonaient eux-mêmes leur cheminée, avec une branche de houx attachée à une corde. De temps en temps, des ramoneurs ambulants, mieux outillés, proposaient leurs services. Munis d'un râteau, dont ils allongeaient à volonté le manche par des tronçons emboîtés l'un dans l'autre, ils grattaient efficacement la suie, sans monter sur le toit.

 

 

LE SCIEUR DE LONG

 

N'habitant pas Grâce, ils venaient, à domicile, débiter,à la demande, des billes de chêne ou de châtaignier pour ceux qui avaient besoin d'un plancher ou d'une cloison, par exemple. Après avoir tracé, sur la bille bien équarrie, des lignes parallèles en lâchant d'un seul coup  un fil imbibé d'une couleur vive, son aide et lui montaient sur un bâti fait d'une grosse poutre maintenue en l'air par de solides pattes obliques et sur laquelle ils la fixaient. L'un, debout sur le haut de la poutre, l'autre en dessous à terre, ils manoeuvraient à longueur de journée une énorme scie, en forme de cadre à deux poignées, la lame fréquemment affûtée, se trouvant en son milieu. Quelle harassante besogne, faisaient les deux gaillards.

 

 

LE TAUPIER

 

Les jeunes gens attrapaient les taupes, et pour s'en débarrasser, car elles sont nuisibles aux cultures et pour vendre la

peau utilisée alors dans la fabrication des manteaux d'hiver. Au temps de la grande mode de cette fourrure, des taupiers,

étrangers à la commune, offraient, sans rémunération, leurs services.

 

 

 

LES COLPORTEURS

 

Ils proposaient à domicile des marchandises de toute sorte. Les habitants de Grâce, s'en méfiant un peu, préféraient acheter dans les boutiques du bourg.

 

 

LE "PILLOTOU"

 

Ils passaient pour ramasser, contre argent, les vieux chiffons appelés "pillots"

 

 

L' ALAMBIC

 

Celui qui s'en occupait - le faizou de gutte- immobilisait son alambic de préférence près d'un ruisseau car il avait besoin d'eau pour rafraîchir la chaudière. Il transformait en alcool la lie de cidre que lui apportait dans une barrique le bouilleur de cru, en même temps qu'une brassée de bois pour la chauffe. Le nombre de litres d'eau de vie obtenu étant limité par récoltant, l'enlèvement, pour faciliter le contrôle, était autorisé seulement pendant la durée du jour. Le fraudeur venait en cachette la nuit chercher les quelques bouteilles excédentaires qu'il avait dissimulées, au pied d'un buisson, sous un tas de

fougères. Le droit de bouillir est réservé à ceux qui ont des pommiers sur leurs terres : c'est le privilège des bouilleurs de cru. Sa suppression, envisagé à plusieurs reprises, a été longtemps reportée devant la grogne du paysan très attaché à ce droit considéré comme sacré. Actuellement, il n'est plus transmissible et la race des bouilleurs de cru s'éteint petit à petit.

 

 

LE DEBITS DE BOISSON

 

Ils étaient nombreux, fréquentés le soir par les gens du bourg et le dimanche par tout le monde. On y trouvait surtout du cidre, du café et de la "goutte" servis sur une grande table de chêne ciré encadrée de deux bancs. Le débit souvent,vendait aussi un peu de mercerie ou un peu d'épicerie. Les femmes venaient y faire leurs emplettes en acheteuses mais non en consommatrices. Servant d'enseigne, pour le distinguer des autres maisons, une branche de gui pendait au-dessus de la porte, ce gui qui pousse sur tous les pommiers. S'il y avait des auberges à Grâce, on n'y pouvait ni manger ni coucher à le différence de celles, plus grandes il est vrai, d'Uzel et même de St-Hervé, qui portaient sur toute la longueur de la façade, les deux phrases traditionnelles : "On vend à boire et à manger, On loge à pied et à cheval".

 

 

LE MEUNIER

 

Happé par la meule de son moulin ou trouvé mort dans la neige épaisse d'un hiver rigoureux le dernier meunier de Grâce est mort d'une façon tragique. Construit au pied du petit bois de la Ville-Rouault, le moulin de Bérien recevait l'eau de deux ruisseaux, celui qui passe au Pont de Grâce et l'autre au Pas-Morin réunis un peu avant le bief. Quelques pierres subsistent ainsi que les vestiges de la retenue d'eau, envahie maintenant par les arbres. Il a fallu ensuite aller moudre au moulin de Bon-Amour, en Saint -Thélo.

 

 

LE BOULANGER

 

Le cultivateur ramenait du moulin la farine, que sa femme pétrissait. C'est lui qui, souvent à cheval, portait la pâte au

boulanger, lequel, avant d'enfourner la tourte, la marquait d'un signe distinctif. Parfois c'était l'enfant qui, en allant à l'école, apportait le "pochon" à la boulangerie et en ramenait la tourte de douze livres. Ainsi le cultivateur mangeait son blé qu'il avait semé, récolté, battu et porté lui-même au moulin. Le boulanger vendait aussi des pains, moins gros, dont il pétrissait la pâte, pain excellent, fait au levain, cuit dans un four chauffé aux fagots, pain de seigle ou pain blanc, qui se conservait longtemps. On trouvait chez lui, le dimanche, des pains de "mirau", à  la mie fine et blanche, régal des enfants sages qui ne connaissaient pas les gâteaux de pâtissier.

 

 

LE BOUCHER

 

On passait commande, d'une fois à l'autre, au boucher d'Uzel qui venait deux jours par semaine, aucune boucherie n'étant installée à Grâce. Pourtant>un homme tuait le "pourcé" (cochon) à domicile. Sorti de la "soue" le cochon, poussant de grands cris, était amené jusqu'à une table épaisse (genre établi) sur laquelle, quoique solidement maintenu, il se débattait. Le boucher le saignait et on lui apportait un baquet d'eau chaude pour faciliter le grattage des poils. Le sang recueilli, remué immédiatement pour éviter la coagulation, servait à faire le boudin, emprisonné dans les boyaux raclés et soigneusement lavés dans l'eau d'un ruisseau. Et pour, finir, le cochon suspendu, la tête en bas, à un crochet fixé à une poutre de la cuisine, attendait jusqu'au lendemain que le boucher vienne le débiter. C'était un grand jour pour tout le monde dans la maison. La chair hachée finement devenait pâté ou mise en boyau à l'aide d'un petit moulin tourné à la main, elle était convertie en saucisse, destinée, comme les andouilles confectionnées en même temps, mais avec les tripes, a être fumée dans la cheminée.

Le cochon fournissait surtout des morceaux de lard pour le "charnier" (saloir) où ils se conservaient plusieurs mois. On y puisait suivant les besoins, en attendant l'égorgement du cochon suivant. Le cochon dépecé, l'usage était de porter une bout de saucisse aux voisins, à charge de revanche bien entendu.

 

 

L' EPICIERE

 

Seule la boutique tenue par les demoiselles Guillaumel comme on disait, était bien achalandée. On y vendait du riz, de la se­

moule, des haricots secs, du poivre, du sel, de la chicorée, du café, du café vert car la clientèle, pour qu'il ne perde pas son arôme préférait le griller elle même, à sa convenance, dans une casserole ou mieux dans un grilloir spécial. On y trouvait du sucre de canne, en provenance des raffineries de Nantes, vendu en pain conique qui devait être chez soi cassé à l'aide d'un marteau. Certains sacs alignés sur le plancher, serrés les uns contre les autres, les bords étant soigneusement repliés, démontraient la qualité de la marchandise.

La plupart des articles, livrés en vrac, n'étant pas empaquetés, on pesait à la demande. Pas de beurre car il s'achetait chez le fermier, comme les pommes de terre ou les oeufs. Pas de fruits non plus. Pour en manger, il fallait les récolter soi même ou se contenter, suivant les saisons, de "badies" (merises) ou de "moules" (mûres) ou de "chatâgnes" (châtaignes) ou des pommes à cidre qui ne manquaient pas dans les vergers. On aurait en vain cherché du miel dans cette boutique, beaucoup de paysans élevant des "mouches à miel" (abeilles) pour leur propre consommation, ou vendant directement leur production aux amateurs. L'habitude se perdant de fabriquer, chez soi, les chandelles de "rouzine" (résine) qui, encore chaudes et molles, brûlaient les paumes lorsqu'on les "rollait" (roulait) à plat sur la table, autour d'une mèche en étoupe de chanvre,on trouvait, de belles bougies blanches en stéarine avec trous pour les empêcher de couler. Dans les maisons n'ayant pas encore adopté la lampe à pétrole à mèche et,grand luxe,à bec Matador, lampe qui, avec son abat ­jour de teinte opaline, se suspendait à une poutre, c'est la bougie, dans son bougeoir en cuivre, pris fréquemment dans la main,qui servait à éclairer la table pendant le repas, à chercher un objet dans l'ombre creuse du buffet, à donner un peu de lumière aux casseroles sur le feu. C'est avec ce bougeoir qu'en hiver on montait frileusement se coucher dans la chambre glaciale.

 

 

LA BURALISTE

 

Non seulement le tabac à fumer, le tabac à priser, les ninas, les cigarettes s'achetaient au débit de tabac qui faisait en même temps débit de boissons, mais aussi les timbres-poste, les timbres fiscaux et tous les papiers nécessaires pour distiller ainsi que les passe-debout autorisant la circulation du cidre et de l'eau-de-vie.

 

 

LE FACTEUR

 

Disons, en terminant, quelques mots du facteur des lettres et paquets,à la mission d'autant plus importante que les liaisons téléphoniques n'existaient pas. Tous les jours, dimanche et fête compris (le 14 juillet étant son seul jour de congé), à pied ou à bicyclette, il portait le courrier, même dans les villages les plus éloignés, aux chemins impraticables en hiver. Le dimanche, il s'en débarrassait très vite en le distribuant à la sortie de la grand'messe. Gai et serviable, attendu avec impatience surtout pendant la guerre de 14, toujours accueilli par un joyeux "Bonjour facteur" suivi quelquefois par "Vous prendrez bien un petit verre", petit verre qu'il ne refusait jamais, il emportait, vers midi, le courrier au bureau de St Hervé, n'oubliant pas de coller un timbre sur les lettres insuffisamment ou pas du tout affranchies.