LES OFFICES




Dans le presbytère, tout près de l'église, logeaient le recteur et le vicaire. La population de Grâce, étant en diminution constante depuis plus d'un siècle, la fonction de vicaire a été supprimée en 1915.

Le recteur se promenait -plus rarement le vicaire- sortant le nez de son interminable bréviaire pour dire bonjour à l'un ou un mot aimable à l'autre. Par tous, considérés avec beaucoup de respect, ils donnaient des conseils, visitaient les malades et les personnes âgées. Leur rôle était aussi de détecter les garçons pieux à qui le vicaire donnait, quelques leçons de latin pour les préparer, à la grande satisfaction de la famille, au petit séminaire. Quel orgueil pour une mère d'assister à la première messe de son fils dans sa paroisse natale !

Il y avait un troisième prêtre, un chanoine, un peu bizarre qui, ayant sa propre maison n'habitait pas au presbytère. Ancien professeur au grand séminaire de St Brieuc, prématurément mis à la retraite, il écrivait des chansons amusantes qu'il chantait fort mal, étant sourd comme un pot.

Aux 3 messes du matin, en semaine, assistaient quelques personnes du bourg : la servante du recteur, toujours d'âge canonique, les soeurs de la Communauté du St-Esprit et les "bonnes soeurs du monde" ainsi qualifiées parce que appartenant à un tiers ordre, elles vaquaient à leurs occupations comme tout le monde. Elles portaient, seule différence, un capot plus grand et plus simple que celui des autres femmes.

Par tous les temps, neige, verglas, pluie ou vent, un enfant, généralement du bourg, répondait aux messes quotidiennes.

Tous ces garçons estimaient que répondre à la messe était un devoir.

 

LA GRAND'MESSE

 

A tour de rôle, une seule personne par famille, la "gardienne" se rendait à la messe "matine" (la première du dimanche), toutes les autres devant obligatoirement assister à la grand'messe de 10 heures.

A 9 heures se faisait entendre, sur une seule cloche, le "premier son", à 9h30 le 2éme, puis "l'appel", 10 minutes avant l'heure, les cloches sonnant à toute volée.

Pour régler son horloge, le recteur demandait aux voyageurs revenant de la gare de lui rapporter l'heure exacte car il tenait que sa messe commençât à l'heure.

En chasuble, caché par la porte de la sacristie, ses enfants de choeur impatients derrière lui, il attendait, pour pénétrer

dans son église, le premier coup de 10 heures. 

De chaque côté de l'allée s'étiraient les bancs destinés aux femmes, le premier à droite étant réservé aux religieuses. Le second plus large, doté d'une porte fermant à clé et d'un petit banc revêtu, pour s'agenouiller plus commodément, d'une étoffe rouge rembourrée, appartenait à la famille du Gourlay. Numérotés, les bancs(refaits en 1868) étaient adjugés pour 18 ans, le titulaire ayant la possibilité de sous-louer à une ou plusieurs personnes.

Les femmes" toutes en capot, qui venaient, en hiver, de lointains villages, empruntant des chemins difficiles, laissaient  sous la tour, leurs sabots boueux pour chausser des sabots-claques plus élégants, apportés dans un sac. Chacune ensuite se dirigeait vers son banc. Comme les premières occupantes négligeaient de se mettre au fond, la suivante, posant d'autorité un pied sur le bord du plancher, à la hussarde, les poussaient brutalement, assaut répété chaque fois, jusqu'au remplissage complet.

De vieilles tisserandes, pour qui la location d'une place était trop chère, s'agenouillaient humblement sur les dalles d'ardoises, attendant qu'une personne charitable vint lui offrir une place dans son banc.

Par respect de la maison de Dieu, les femmes, le dimanche, se coiffaient avec soin et, si elles en disposaient de plusieurs, revêtaient leur plus beau châle et leur plus soyeuse devantière.

A gauche, dans la partie haute, se tenaient les enfants des écoles surveillés par une religieuse.

A droite, les hommes, sur des banquettes sans dossiers, entendaient la messe debout ou assis.

La population de Grâce ayant diminuée, un beau jour,  le recteur les invita à occuper une partie des bancs des femmes. Ils ne bougèrent pas. Il les pria, les supplia, grossit la voix, menaça. Ils ne bougèrent pas. De guerre lasse, il fit enlever tous leurs bancs. La force eut raison de la coutume : le dimanche suivant les hommes se soumirent.

L'officiant (flanqué de deux enfants de choeur) solennellement descendait l'allée, aspergeant d'eau bénite les fidèles debout, pendant que l'harmonium de la religieuse accompagnait le chantre et ses choristes.

C'est en latin qu'ils chantaient,  langue liturgique d'alors, et que les fidèles répondaient. Celui qui ne connaissait  pas par coeur la traduction la trouvait dans son missel. Au "Gloria", on commençait à sentir, par vagues, une savoureuse odeur d'étable, mélangée à des effluves plus personnelles, très différentes de l'odeur de sainteté, qui picotait le nez pour disparaître ensuite. Question d'accoutumance, sans doute.  

Sa chasuble posée sur l'autel, le recteur montait en chaire. Après avoir soigneusement refermé la porte et mis le registre noir sur le rebord devant lui, il lisait en français, l'évangile dit par lui, à l'autel, en latin. Puis venaient les annonces de la semaine suivies de la prière nominale, longue énumération de noms, les prêtres de Grâce décédés cités en premier, puis les autres trépassés dans l'ordre chronologique, les nouveaux enterrés en dernier. Tous n'y figuraient pas car, à défaut d'une inscription à perpétuité, la famille devait payer chaque année. Pour ceux de la liste, était dit le "De profundis". On priait aussi pour les voyageurs, les malades et les agonisants, pour la famille qui offrait le pain bénit de ce dimanche et pour celle, dont le nom était rappelé, qui devait le donner le dimanche suivant.

Si par temps de sécheresse, on invoquait le Seigneur pour obtenir la bienfaisante pluie, par vilain temps, on implorait de lui le soleil pour couper au plus vite, le foin ou le blé déjà trop mûr. Il fallait la permission du recteur pour travailler en cas d'urgence, le dimanche. Et c'est de la chaire qu'elle était donnée. Ensuite le prêtre commençait "Conformément à la tradition des apôtres et.. ." Cette phrase traditionnelle, ayant pour effet de faire asseoir tout le monde dans un grand brouhaha. 

Quand, le livre refermé, le prêtre, ayant fait son sigoe de croix, lancait : « mes biens chers frères", on aurait entendu voler un angelot. Tant de prédicateurs sont montés dans cette chaire.

- L'un, considérant l'école laique comme un lieu de perdition disait :

" Deux chemins, se présentent aux parents : celui de l'école libre qui peut conduire à la sainteté et celui de l'école sans Dieu qui mème à la turpitude".

- L'autre, dressé tel le Grand Inquisiteur, les yeux prophétiques et la voix tonnante, montrait, de son index tendu, le ciel, félicité éternelle promise aux vertueux et, le pointant vers le sol, désignait les flammes dévorantes, à travers lesquelles dansaient les démons ricaneurs, flammes infernales réservées aux pêcheurs non repentis.

Au recteur qui du haut de la chaire assénait aux hommes leurs  quatre vérités, répondaient d'abord des murmures, puis des ricanements ponctués de gros rires. Arrêtant sa phrase, il les toisait cherchant des yeux le ou les récalcitrants. En masse compacte, serrés les uns contre les autres, les hommes - le groupe fait la force- lui tenaient tête et les grognements reprenaient dès la phrase suivante. Le défi s'arrêtait là. Ni le recteur, ni ses ouailles n'en gardaient rancune.

-Un autre jour un missionnaire diocésain trappu, vigoureux, dès son premier sermon, provoqua l'assistance. Il s'adressait aux hommes : «  Vous voyez ce bras - il l'avait musclé- si l'un de vous s'avisait de faire du tapage ou, sortant du bistrot, semer ici le scandale - je ne crains pas la bagarre - il l'aurait sur la figure. A cette époque l'église était forte et frappante, mais tout de même.

 

Un autre prédicateur, dans la plus pure tradition scolastique, ornait ses périodes de primo, secundo, enim, ergo, accompagnés de grands effets de manches et de belles fleurs de rhétorique.

De la bouche de beaucoup de prêtres sortaient d'excellentes homélies, simples et charitables. Et ne fallait-il pas,  pour mieux se faire comprendre, s'exprimer en images fortes et hautes en couleurs?

Après le Credo, chanté par tous, la quête. Trois quêteurs, toujours les mêmes, se suivaient. A toute pièce tombant dans son assiette, le premier répondait :  " Que Dieu vous le rende par Notre Dame de Grâce » , le deuxième :  «  bonne Vierge......... récompense « ,( que la Bonne Vierge soit votre récompense ), un peu plus en arrière, le troisième, présentant une boite allongée toute noire, flanquée à l'avant d'une tête de mort sculptée, peinte en blanc, disait :       "Tu  fasses paix........ .défunts", c'est-à-dire : Que Dieu fasse paix aux défunts. On trouvait quelquefois des boutons de culotte dans les assiettes de cuivre, jamais dans la boite des morts, quête qui rapportait d'ailleurs beaucoup plus que les autres (l'argent était transformé en messe pour le repos de leur âme) au point qu'un recteur mécontent décida, un beau jour, de la supprimer.

A l'élévation, obéissant aux clochettes multiples agitées par un enfant de chœur les têtes se penchaient pendant qu'une des grosses cloches tintait lentement.

" Per ipsum, cum ipso, in ipso" Ces trois mots, séparement articulés, tombaient dans un grand silence.

De la table de communion les femmes revenaient, mains jointes, yeux baissés. Aux filles ayant des manches courtes ou une jupe laissant voir leurs mollets, aux parents des enfants fréquen-tant l'école laîque, l'Eucharistie était refusée, de même qu'à l'institutrice de cette école, tout juste tolérée à la messe par le recteur, qui d'ailleurs ne lui parlait jamais.

Présentant un grand panier enrubanné, un enfant de choeur passait de banc en banc. La femme la plus proche de l'allée, saississant une poignée de morceaux de pain bénit (pour les fêtes changé en gâteau breton) la mettait au creux de son missel ouvert, qui, chacune se servant au passage, circulait jusqu'au bout du banc. On portait à la bouche ce morceau, en se signant et avec autant de piété que les foules processionnaires d'aujourd'hui reçoivent l'hostie consacrée dans la main.

 

"Ite missa est"

 

D'abord sortaient les hommes par une porte à eux réservée. Le battant à peine refermé sur le dernier, les femmes de la nef, se poussant vers une autre porte, s'entassaient près du bénitier, car tremper ses doigts dans l'eau bénite, pour faire le signe de la croix, était d'usage aussi bien en sortant qu'en entrant.

Les hommes ensuite s'éparpillaient dans  les auberges, les femmes dans les boutiques.

 

LES VEPRES

 

Beaucoup de paroissiennes et quelques hommes, les autres préférant jouer aux quilles, se rendaient aux vêpres. Ne manquaient ni les enfants du catéchisme, ni les religieuses du St-Esprit ni les bonnes soeurs du monde.

Les versets des psaumes chantés, soit par les prêtres, le chantre et ses acolytes, soit par l'assistance, s'envolaient vers le Seigneur comme une louange alternée.

Agenouillés pour la bénédiction du Saint-Sacrement, tous sentaient passer sur eux, comme un souffle purificateur, mêlé au parfum de l'encens. Et fortifié, rassuré chacun rentrait chez soi, heureux d'avoir accompli son devoir de chrétien.