LES PROCESSIONS


A trois reprises, vers la fin de l'hiver, étaient dites des prières publiques et solennelles, appelées « rogations » dans le but « d'apaiser la colère de Dieu, de détourner les fléaux de sa justice et d'obtenir de sa miséricorde que les fruits de la terre soient bénis et préservés des accidents auxquels ils sont exposés ».

Exigeant l'abstinence pendant trois jours, elles avaient lieu en semaine, après la messe du matin, sous la forme de processions, précédées de la croix et du recteur, qui déambulaient, par les chemins champêtres.

Aux invocations, le cortège psalmodiait en réponse « Te rogamus Domine »
Nous voulons de bonnes récoltes - Te rogamus Domine
Que la maladie épargne nos troupeaux - Te rogamus Domine
Que les orages s'éloignent - Te rogamus Domine

Et la procession se terminait à l'église. D'autres, beaucoup plus importantes, à la Fête Dieu, au 15 août, à la fête patronale de Grâce en septembre, rassemblaient les fidèles. Les deux dimanches précédents, après le prône, étaient, par le recteur, nommés en chaire, les porteurs et porteuses.

Chacun tendait l'oreille craignant d'avoir été oublié sur la liste prestigieuse. Pour la Fête Dieu, les gamines de l'école religieuse allaient dans les landes du Tourlanquin faire provision de fleurs de genêt et de "berlue" (digitale) destinées à garnir les paniers des enfants et les reposoirs.
Le grand jour arrivé, les habitants du bourg tendaient, sur une corde devant leur maison, des draps piqués de quelques roses et tapissaient le sol de dessins variés composés de fleurs des champs.
En tête du défilé, une première communiante portait une croix d'argent, deux autres tenant dans la main l'extrémité des cordons qui en descendaient.
Une deuxième croix semblable suivait portée, celle-ci, par les communiantes de l'an passé. Derrière marchaient, chacune dotée d'un étendard imprimé, les filles de l'école accompagnées des religieuses, précédant des jeunes gens ayant sur leurs épaules la statue de Jésus Adolescent appelée aussi le Sauveur du monde.
De nombreuses bannières, certaines très richement brodées, les unes portées par les hommes, les autres par les femmes et les enfants de Marie, complétaient la procession qui s'arrêtait de temps en temps pour permettre aux tout petits, obéissant à un coup de claquette, de jeter des pétales sortis du panier pendu à leur cou.
Sous un dais teinté d'or, surmonté de 4 aigrettes blanches, le prêtre, une large étole sur les épaules, l'ostensoir dans les deux mains, avançait sur un parterre de fleurs et d'entrelacs en sciure colorée. Statues et bannières, émergeant d'entre les coiffes, se balançaient comme au gré de la brise, tandis que les femmes, en avant du dais en deux colonnes latérales, les hommes derrière, chantaient avec ferveur hymnes et cantiques.
La procession faisait halte aux calvaires érigés au bord de la route où les voisins avaient pris soin d'arranger un reposoir champêtre entouré de branches vertes et de genêts fleuris. Mais c'est au bourg, devant l'école des garçons, que s'élevait, entre d'énormes mâts garnis de guirlandes et d'oriflammes au vent, le plus beau et le plus important des reposoirs sur lequel le prêtre déposait l'ostensoir.
Après avoir chanté le "Tantum ergo", la foule à genoux recevait la bénédiction. Ceux qui ne faisaient pas partie de la procession, ne devaient pas se montrer en curieux, (le bon usage le voulait), mais se cacher ou bien s'agenouiller sur le bord de la route en murmurant une prière ou en égrenant un chapelet.
Pour les fêtes de l'Assomption et du 8 septembre, à la place du dais qui restait à la sacristie, était portée Notre Dame de Grâce, la Vierge miraculeuse, à la couronne d'or enrichie de pierreries, vénérée depuis toujours, revêtue pour l'occasion d'un somptueux costume.
A une certaine époque, les porteuses de la statue, la trouvant trop pesante à leurs épaules, surtout dans les mauvais chemins, avaient refusé de la sortir. Aussitôt une épidémie s'en suivit qui fit beaucoup de victimes. Les habitants consternés y virent un signe de Dieu. Ayant été évidée, la statue fut portée de nouveau : l'épidémie cessa. Les porteuses, en costume d'apparat, mettaient un châle blanc et une grande coiffe de fête, composée d'un bonnet serre-tête terminé par deux larges pans tombant sur les épaules, coiffe fragile brodée sur tulle.
Vers 1910, ce magnifique costume fut abandonné pour un simple voile de mousseline et une jupe, autant que possible blanche. On chantait: Reine de l'Arvor, Nous te saluons Vierge immaculée En toi nous croyons Vierge immaculée En toi nous croyons. C'était un des cantiques les plus appréciés. ou bien : Sainte-Anne, Ô bonne mère, Toi que nous implorons, Entends notre prière Et bénis tes bretons.
Ces processions étaient la joie des enfants de choeur qui arboraient,à cette occasion, leurs plus belles tenues. Ne quittons pas le domaine religieux sans signaler la lutte engagée par l'Etat au début du siècle contre l'Eglise. Certaines congrégations, interdites en France, durent s'expatrier.
Les Soeurs du St-Esprit, restèrent à Grâce mais le droit d'enseigner leur fut retiré. Le menuisier obtura avec des planches les fenêtres de la Communauté, au moins celles qui donnaient sur la cour de l'école, la séparation entre les deux devant être totale.

Le courant anti-religieux atteignit son paroxysme dans l'affaire des "Inventaires".
Les Pouvoirs publics ayant décidé d' inventorier, même les objets du culte, les autorités religieuses prescrivirent aux paroissiens de s'opposer, par tous les moyens, à cette inadmissible prétention. Un jour les fonctionnaires chargés de cette mission se heurtèrent aux portes de l'église fermées à dessein. Ils les firent ouvrir. Comme ils étaient accompagnés d'un détachement de l'armée venu faire respecter l'ordre républicain, personne ne pu s'y opposer mais les habitants de Grâce les invectivèrent. Craignant que cette opération ne fut suivie d'une appropriation des objets du culte, le recteur les répartit entre les habitants du bourg.