ROUTES ET CHEMINS


Les gens se rendaient au bourg ou aux champs via de nombreux chemins de terre, boueux en hiver, où les charrettes s'enfonçaient alors jusqu'au moyeu. Les piétons passaient dans le champ voisin, se hissant par dessus le talus. Les rivières ou ruisseaux traversés  à gué par des sauts de roche en roche d'ou les noms de pas-de l'orme, pas-morin, pas-brien ou encore de pas-hervé, donnés à ces passages.

Ces chemins reliaient entre eux les villages de grâce, correspondant à des fermes isolées ou groupe de ferme, villages affublés de noms pittoresques : la cabane, le lièvre, la gravelle, la lande aux boeufs, la broussée, la grenouille.

Une voie romaine, dont on a retrouvé les traces, traversait les villages de la croix-chanvril et de bossiguel à moins d'une lieue (4 kms)de Grâce, d'ou probablement le nom de ville aux romains pour un village tout près de Grâce mais situé sur la commune de Trévé.

La route la plus ancienne reliant Loudéac à Uzel traverse le bourg. Naguère route nationale, devenue départe­mentale lorsque la route du Tourlanquin, a été promue nationale, elle fut longtemps la seule.  En effet, celle montant au Tourlanquin n'a été construite, vers 1870, que pour desservir la gare d'Uzel et celle qui se dirige vers Trévé crée seulement après la guerre de 14-18.

C'est aux habitants qu'incombait la charge d'entretenir les routes en effectuant chaque année,des journées de travail, appe­lées prestations. Moyennant le paiement d'une taxe, on pouvait

s'en faire exempter.

Les gens qui se rencontraient ne se serraient pas la main, se contentant de dire"bonjou " avant l'Angelus de midi et "bonsouër" ensuite. Les hommes ne soulevant pas leur chapeau, l'index levé à sa hauteur, était marque de considération. Peu de familiarité dans les rapports. Beaucoup de gens uti­lisait encore le "vous", le tutoiement étant d'importation ré­cente. Devant les calvaires -la plupart ont disparu- plantés à la croisée des chemins, personne n'aurait osé passer sans faire le signe de croix. Et il n'était pas rare, à midi, aux trois premiers coups sonnés par la plus grosse cloche, baptisée Dieudonné, de voir un conducteur (le boulanger en tournée par exemple) arrêtant son char à ban ou un homme à cheval, sa monture, pour faire un signe de croix et réciter l'Angelus.

En ce temps là  plupart des gens allaient à pieds. Sur la route menant à Uzel on rencontrait, un mercredi par mois, les hommes se rendant à la foire pour y conduire leurs bêtes à vendre, ou\1 en acheter d'autres et, tous les mercredi, jour de "marchier",  les fermières avec leurs gros paniers remplis d'oeufs et de volailles.

Rares étaient celles qui utilisaient un char pour se rendre au marché, le cheval étant nécessaire à labourer ou pour charrier. Sur les mêmes routes et chemins, que de voyageurs à pieds ont passé, en quête de travail, allant parfois jusqu'à Nantes se faire embaucher dans les raffineries. Le soir, ils frappaient à une porte demandant refuge pour la nuit. La soupe n'était jamais refusée. Ils dormaient sur la paille, hospitalité spartiate à la mode d'autrefois, pour dis­paraître dès l'aube.

Des mendiants de toutes les communes environnantes, hommes et femmes, venaient aussi, cheminant à la queue leu leu, tendre la main, une fois par mois, (à Grâce le premier vendredi) c'était la "donnée". La tête de la file (les plus vieux distancés par les plus valides, les éclopés fermant la marche) s'arrêtait  sur les seuils, la première personne, sans jamais pénétrer dans la maison, sans toquer à la porte, murmurant un "ave Maria". Pauvres, les gens donnaient à des plus pauvres qu'eux, soit un morceau de pain, soit, jadis, quelques centimes, trans­formés par la suite en un sou ou deux. Et ce n'était pas déri­soire si on veut bien se rappeler qu'une couturière, nourrie il est vrai, gagnait pour sa journée, 10 sous soit 50 centimes ou un demi franc (le franc de l'époque valait 1/100 du franc actuel).  Ils remerciaient des yeux sans prononcer une parole ou bien ils disaient "Dieu vous le rende" et le dernier de la colonne, avant de se retirer, marmonnait une prière, soliloque de gratitude.

Cet usage, survivance de l'état de misère endémique de jadis, s'est terminé vers 1910, la mendicité ayant été interdite.