LES TRAVAUX DE L' ETE

 

A la belle saison, les nuits plus courtes allongeaient la  journée de travail.  Finies les longues veillées bavardes au coin du feu. Jetés à la volée par la main de l'homme avançant, à pas comptés, pour décrire avec le bras le fameux geste auguste du semeur, les grains avaient depuis lors germés et grandis. Devenues hautes, les tiges frémissaient au vent de l'été. De l'aube à la tombée de la nuit, pour faucher et moissonner, grande allait être la peine des hommes.

Fera t-il beau demain ? Pleuvra t-il ? Question obsédante. Doit-on couper ? Faut-il attendre ?

Les campagnards devinaient le temps en regardant les nuages au coucher du soleil ou les poules, se creusant un nid dans la terre sèche ou les fils de la Vierge avec ou sans rosée, bombés ou au contraire affaissés.

Le vol rasant des hirondelles ? signe de pluie. Le soleil rouge au crépuscule ? Temps sec, beau mais attention à la tempête. Les "cordes" tirant sur le soleil ? Pluie abondante le lendemain, au plus tard le jour suivant. Une ardoise posée la veille sur le sol indiquait le lendemain matin, dessous mouillé : beau temps. S' il était sec pluie.

Ils connaissaient les proverbes :

Arc-en-ciel du matin, petit bonhomme suis ton chemin, Arc-en-ciel du soir, petit bonhomme ramasse té (toi)

Brouillard sur les monts, reste dans ta maison, Brouillard dans la vallée, va à ta journée.

Temps moutonné blanc de la pluie avant longtemps.

 

FENAISON

On utilisait trois instruments:

La faux pour couper

Le "ratet" (râteau de bois à double rangée de pointes opposées).

La "gaveline" (fourche à deux dents plus légère que le "gavelot"), laquelle servait à l'occasion pour écarter les vipères.

Les alignements de foin fauché s'appelaient "andains". A l'aide du râteau, les andains, mis en petits tas, devenaient des "veilloches" qu'il fallait défaire plusieurs fois pour étaler le foin sur le pré pour le bien sécher. Finalement, les andins assemblés formaient des "airées",elles-mêmes mises en "mulons" qu'emportaient de pleines charrettes bien encordées.

On conservait le foin, soit enroulé autour d'un mât dans la cour de la ferme, soit qu'après l'avoir passé, au bout d'une gaveline, par la "gerbière" (sorte de mansarde sans fenêtre)", on l'entassât dans le grenier de la grange, aubaine pour la jeunesse accourue presser et fouler jusqu'au faîtage, en s'amusant à débouler de haut en bas tandis que des coins d'ombre fusait le rire des filles chatouillées. L' apparition des premières faneuses mécaniques, tirées par un cheval, hautes araignées aux pattes oscillantes en forme de fourche, faisait dire aux anciens qu' elles retournaient moins bien le foin que les faneuses, les vraies, qui travaillaient en chantant, un mouchoir noué sur la tête.

 

MOISSON ET BATTAGE

 

Pour couper le fourrage on utilisait la faux dont la lame, rebattue de temps en temps sur une enclume fichée en terre, était affilée à l'aide d'un grès placé dans le "loguet" en corne, toujours attaché à la ceinture du faucheur. Pour le blé on adaptait à la faux un "javlier", bois recourbé pour retenir les tiges coupées. Mais déjà, à cette époque, des cultivateurs commençaient à utiliser les faucheuses mécaniques à barre de coupe.

Le blé coupé, il fallait le battre.

Pour les toutes petites récoltes, les épis coupés assez haut sur leur tige, réunis en poignées, étaient cognés sur 2 ou 3 barriques mises "en choumant" (debout) dans la cour. Ce qu'on trouvait sur le sol était balayé et secoué dans un van. Les tiges restantes dans le champ, appelées "guié", étant recoupées par la suite.

Cette manière primitive ne valait pas le battage au fléau. Le fléau, qui décore maintenant les murs des résidences secondaires, se compose d'un manche en bois et d'une verge plus longue mobile en tous sens. Sur les tiges de blé étendues en rangées dans la cour de la ferme soigneusement "balliée" (balayée), les batteurs, placés en ligne, frappaient vigoureusement, la  verge tournoyante au-dessus de leur tête. Le battage devait être cadencé afin que la verge ne rencontrât pas celle des voisins. Pour garder le rythme, le meneur lançait une série d'onomatopées du genre Dic-ba-da-deau, répétées plusieurs fois. La manoeuvre du fléau, difficile et fatigante, donnait des "poulettes" (ampoules) aux mains des batteurs inexpérimentés. La paille retirée, l'aire du battage conservait un mélange de grains, de balle et de poussière destiné au tarare, appelé aussi van. Dans son ventre, en forme de coquille d'escargot, les pales en bois, tournées à la manivelle, envoyaient un courant d'air sur les cribles constamment agités d'ou sortait le grain débarrassé de ses impuretés.

Le temps des batteuses mécaniques étant venu, l'usage du fléau a été à peu près abandonné.

 

LE BATTAGE MECANIQUE

 

Plusieurs coups de sifflets réveillent la campagne endormie. C'est la batterie qui appelle dans le matin calme. Ou est elle ? Là-haut, au Bois ou à la Butte?

Ce n'était pas facile de conduire à travers les chemins tortueux la machine à vapeur et surtout l'énorme vanneuse à large panse que plusieurs paires de boeufs, un cheval en tête, avaient du mal à tirer. Des hue, des dia accompagnés de force jurons, n' y arrivaient pas toujours, le fouet et les aiguillons non plus. Alors on allait chercher un autre cheval ou bien, à l'aide de leviers, on la "débourdait" (débourder : sortir d'une ornière par exemple).

Dans la cour de la ferme, les bêtes dételées, on calait vanneuse et machine. Les gamins accourus regardaient le mécanicien casser les pains de charbon avant de les enfourner à la pelle.

La machine siffle plusieurs fois. On commence. Et voici que le volant tourne, transmettant, par la longue courroie, le mouvement à la vanneuse dont les entrailles encore vides frémissent. On  a commencé.

Un gars, attrapant avec sa fourche la gerbe, qu' un autre fait débouler du tas, la hisse vers une fille robuste, un couteau à la main, qui tranchant le liant, l'envoie, étalée d'un coup de genou, au premier engreneur, qui la passe au second , lequel la pousse vers le tambour qui l'avale.

Rejetée à l'autre bout de la vanneuse, la paille est emmenée et entassée en "mouée", tandis que le grain se déverse dans des sacs et que la balle tournoyante s'épaissit en "gapas" sur les "vantouères" faites de 4 sacs décousus, attachés ensemble, qu'emporte les femmes, protégées par un mouchoir en serre-tête et un autre autour du cou.

Grimpant à l'échelle, un homme monte les sacs de grains au grenier.

Une femme, un "pichié"  et une bolée à la main, ne cesse d'aller de l'un à l'autre offrant du cidre à volonté. A peine essuyée la sueur perles à nouveau sur les visages.

Le mécanicien donne un coup de sifflet. La courroie s'immobilise, c'est l'heure de la pause déjeuner.